«Ein Salatblatt kann man nicht geniessen!»

Der Philosoph Markus Huppenbauer findet: Freude am Essen ist wichtig! Das klappt aber kaum, wenn wir dabei verbissen Kalorien zählen.

Texte: Ruth Jahn

Images: Filipa Peixeiro

6 mn

08.06.2020

Monsieur Huppenbauer, le plaisir est-il l’ingrédient d’une vie accomplie?

Il en est même un élément central!Celui qui sait profiter est globalement plus satisfait de sa vie. Profiter de la vie signifie être dans le moment présent, être réconcilié avec la vie, même si nous sommes confrontés à beaucoup de misère et à une conjecture pessimiste.

Profitons-nous aujourd’hui davantage de la vie?

J’hésite à vous répondre oui. Aujourd’hui, nous pourrions profiter davantage de la vie contrairement à nos ancêtres. Aujourd'hui, le plaisir est pour beaucoup, pas seulement pour les élites comme autrefois. Mais : nous vivons dans des corsets temporels étroits, nous sommes soumis à des cadences élevées dès le jardin d'enfants, nous mangeons à la hâte, nous sommes poussés à la consommation - ce n'est pas vraiment savoureux !

Devons-nous réapprendre à goûter au plaisir, lorsque nous mangeons par exemple?

Absolument. Nous ne naissons pas gastronomes. Les facteurs biologiques conditionnent notre espèce. Quand il voit du sucre, de la graisse ou des protéines, notre corps nous ordonne: mange! Mais cela n’a rien à voir avec le plaisir qui est lié au raffinement. Je ne vous parle pas de belles tables dressées avec cinq couverts et trois verres différents. Mais de la manière dont nous prenons conscience de ce que nous mangeons, de notre connaissance des traditions culinaires, de notre capacité à prendre le temps de savourer un repas partagé avec d’autres. Cela demande une certaine abnégation. Et nous devons oublier les contraintes. Celui qui emporte ses soucis à table ne pourra pas pleinement profiter du repas.

Nous ne mangeons pas simplement ce que nous aimons, mais pensons aussi à notre santé, à l’environnement, au bien-être des animaux, etc. Cela peut-il être un obstacle au véritable plaisir?

Le plaisir et l’aspect moral font tous deux partie de la vie. Nous voulons savourer pleinement, mais aussi agir de manière responsable. Cela peut-être contradictoire: manger un bon rôti tout en ayant conscience que l’élevage contribue à l’effet de serre. Déguster un verre de vin tout en sachant que c’est mauvais pour le foie. Il revient à chacun de peser le pour et le contre.

Les médecins soulignent également l’importance de la convivialité lors des repas, notamment parce que l’on mange moins à plusieurs.

Si vous savourez votre repas, vous mangerez moins et mangerez plus sainement. Mais le plaisir aussi est une valeur en soi! Les médecins oublient de le rappeler parfois. Le vin, le rôti peuvent être néfastes pour la santé, certes. Boire beaucoup d’alcool, ne pas manger équilibré, bouger trop peu sont des facteurs qui engendrent du surpoids, du diabète et des problèmes cardiovasculaires. Mais le plaisir a un effet positif sur la qualité de vie. C’est pourquoi je plaide en faveur d’un plaisir modéré.

Manger sainement est en vogue. Nous comptons les calories, faisons attention aux vitamines, évitons certains aliments.

Beaucoup de personnes sont obnubilées par une alimentation saine. Deux raisons à cela: premièrement, nous ne croyons plus à une vie après la mort et vivons ici et maintenant. Nous nous concentrons donc sur ce que nous avons: notre corps. Deuxièmement, je connais ma marge d’action en suivant un régime, alors que face à d’autres problèmes, je serai peut-être impuissant. Je peux perdre du poids, réduire mon taux de cholestérol ou de graisse. Ceux qui sont minces signalent qu’ils ont le contrôle. Certains influenceurs, en revanche, donnent l’impression que tout est juste une question de volonté. Mais c’est une illusion. Un bouledogue ne peut pas devenir un lévrier.

Est-ce judicieux de faire constamment attention à ce que nous mangeons?

Cela nous peut nous aigrir. Il faut se poser la question suivante: est-ce que je me tourmente inutilement ou est-ce vraiment bénéfique pour ma santé? Une certaine décontraction est nécessaire. Elle est même une condition préalable au plaisir. La salade, par exemple, ne procure aucun plaisir! Il faut d’abord l’agrémenter d’un peu de sel, de poivre, de jus de citron et d’une bonne huile d’olive...

«Une certaine décontraction est nécessaire. Elle est même une condition préalable au plaisir.»

Markus Huppenbauer

Monsieur Huppenbauer, êtes-vous un bon vivant?

En partie seulement. Ma vie est trop souvent dictée par le travail et la discipline. Je veille à ma ligne. J’accorde néanmoins beaucoup d’importance au plaisir. J’adore cuisiner, bien manger et suis un grand amateur des danses latino-américaines et standard.

Quelle est la plus grande erreur que nous faisons dans l’idée que nous avons du plaisir?

Il y en a deux. Tout d’abord, celle d’associer le plaisir à quelque chose de luxueux, donc d’onéreux. Manger une bonne assiette de spaghetti accompagnés d’une sauce tomate maison et d’un bon verre de vin constitue pour moi le plus grand plaisir, qui est pourtant très simple. Une personne recherchant uniquement le plaisir dans des plats chers accorde bien plus d’importance au statut qu’au plaisir de manger. La seconde erreur est d’ordre comportemental. Elle associe l’agitation à la convoitise. Le téléphone portable en fait partie.

Comment?

Le téléphone n’a rien à faire sur la table à laquelle nous mangeons! Il tue le plaisir. Le fait qu’il soit posé sur la table nous fait oublier ce moment de partage, et donc de plaisir, avec les autres convives. Il nous isole. Prendre systématiquement les plats en photo et les poster sur les réseaux sociaux est, à mon avis, une mauvaise habitude qui nous vole de précieux moments! Si je prends une photo de mon assiette, je la regarde à travers l’écran de mon téléphone. Ce qui diminue mes sensations olfactive et gustative. Je pense à tous ceux qui ne sont pas physiquement présents autour de la table et auxquels je veux montrer le bon plat que je suis en train de savourer. Or, c’est tout le contraire qui se passe. Je me distancie du plaisir.

Monsieur Huppenbauer, vous êtes philosophe de formation. Que dit la philosophie sur le plaisir?

Seuls quelques philosophes ont étudié cette question. Et ceux qui l’ont fait se sont ralliés à l’enseignement de Platon, à savoir que l’on ne peut s’adonner aux plaisirs que de manière très disciplinée. La tradition chrétienne est également marquée par la morale ascétique. Un ascète vit et s’entraîne pour atteindre un objectif suprême: accéder à la vie éternelle, courir un marathon ou passer de 100 kilos à 80 kilos grâce à un régime. Un ascète ne peut pas avoir de plaisir. Car ce qui l’intéresse, ce n’est pas le moment présent, mais l’objectif qu’il s’est fixé. En développant sa doctrine des plaisirs sensuels en 300 av. J.-C., Épicure constitue la seule exception parmi les penseurs de l’Antiquité. Mais pour lui aussi, la modération faisait partie du jeu. Selon la devise : les vrais plaisirs sont ceux que l'on ne regrette pas.

«Un ascète ne peut pas avoir de plaisir. Car ce qui l’intéresse, ce n’est pas le moment présent, mais l’objectif qu’il s’est fixé.»

Markus Huppenbauer

L’ivresse et l’extase ne sont-elles pas apparentées au plaisir?

Non. Pour ressentir le plaisir, il faut rester maître de soi et garder le contrôle. On s’abandonne, pour ainsi dire, mais pas complètement. Il faut savoir que chez nous, les écarts de conduite ne sont pas bien vus. Et la politique tente de limiter les conséquences négatives de l’ivresse et de l’extase, de l’exubérance et de la folie. Il y a bien sûr des exceptions, comme le carnaval. Mais à part cela, l'ivresse et l'extase sont mal vues chez nous. Car elles perturbent le bon fonctionnement de notre société et de la coexistence entre les individus. D’autres cultures appréhendent cet aspect sous un autre angle.

Pour certains, les plaisirs des sens ne deviennent un plaisir que lorsqu'ils sont interdits.

Cela peut être vrai pour les jeunes à un certain stade de leur vie. Mais si nous franchissons certaines limites et que nous nous mettons en danger, par exemple en consommant de la drogue, la fascination et l’aventure se conjuguent automatiquement à la peur. Cela n’a rien à voir avec le plaisir!

Une dernière question: mis à part le plaisir, de quoi avons-nous besoin pour bien vivre?

Trois choses: tout d’abord, nous avons besoin de relations sociales, de se retrouver entre amis, et de faire des choses en couple, avec les enfants, les petits-enfants, les collègues de travail, etc. Nous avons également besoin de pratiquer des activités qui ont une certaine valeur pour nous: danser, faire la cuisine, manger, discuter, jardiner, faire de la musique, exercer une activité qui a du sens.

Pour de nombreuses personnes, une activité prend tout son sens lorsqu’elle est manuelle. Troisièmement, nous sommes les protagonistes de notre vie. Vivre bien, c’est vivre selon l’idée que nous nous faisons de la vie, au sein d’une communauté qui nous donne la possibilité – au niveau politique également – d’avoir voix au chapitre.


Markus Huppenbauer

61 ans, est philosophe et éthicien. Il dirige le centre de religion, d’économie et de politique à l’université de Zurich. Il s’intéresse notamment au processus de la prise de décision et à ce que cela signifie de vivre selon des préceptes éthiques. Il vit avec sa femme à Baden.

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