L’expérience à la rencontre de l’expertise
Les connaissances que transmettent les patients et patientes font avancer la recherche. Les réseaux ont un rôle particulier à jouer dans ce contexte et devraient être renforcés en Suisse, explique Agnes Nienhaus de la coordination nationale pour les maladies rares.
Pendant des décennies, les rôles étaient clairement répartis: les malades qui «ne savaient rien» allaient voir des médecins qui «savaient tout». La répartition était encore plus flagrante dans le domaine de la recherche, où l’expérience, les besoins, mais aussi les connaissances des personnes malades elles-mêmes n’étaient guère considérés comme source d’information précieuse. Mais ce rapport de force a fortement évolué, notamment depuis que les patients et patientes ont accès aux informations en ligne et se regroupent en réseau. Pour le meilleur, comme il s’avère.
Un projet de recherche grâce aux patient-es
Ce qui est possible lorsque les patient-es se regroupent en réseau a été démontré dans le cas des algies vasculaires de la face (AVF). Ce type de maux de tête peut déclencher des épisodes si douloureux qu’une personne sur quatre a même déjà eu des pensées suicidaires pendant un tel accès. Dans le monde entier, des personnes atteintes d’AVF se sont donc regroupées pour collecter des données sur leurs crises.
Grâce à ces informations, elles ont découvert que le traitement avec des magic mushrooms (champignons), entre autres, permettait d’atténuer la douleur. Les résultats ont été si convaincants que des scientifiques américains ont même intégré la thérapie par ces magic mushrooms dans leurs études cliniques. «Lorsque les patients et les universitaires œuvrent ensemble, les deux parties en profitent. À l’avenir, le monde scientifique devra prendre au sérieux ces patients-chercheurs», affirme Bastian Greshake Tzovaras, lors d’un événement Sanitas sur le thème de la «médecine de demain».
De l’espoir grâce à la chienne Lancelot
L’exemple des personnes atteintes d’une maladie de la rétine montre à quel point l’union fait la force. Grâce à la formation du réseau mondial Retinal Information Network et aux associations nationales comme Retina Suisse, les malades ont boosté la recherche dans ce domaine. Les organisations ont collecté des fonds, parlé aux scientifiques de manière coordonnée et demandé de l’aide pour que les différentes pathologies soient étudiées. «Il s’agissait de dire: on est là. Aidez-nous», explique Stephan Hüsler, directeur de Retina Suisse. En 1984, grâce à ces efforts, un gène a été identifié pour la première fois comme responsable de la maladie. Aujourd’hui, on connaît plus de 300 gènes dont il est prouvé qu’ils favorisent une maladie de la rétine. L’histoire de Lancelot, entre autres, montre la chance que représente cette prise de conscience.
Il y a plus de 20 ans, une thérapie génique a rendu la vue à la chienne atteinte de cécité et redonné espoir à toutes les personnes qui avaient perdu la vue à cause de la même forme de dystrophie rétinienne. «À l’époque, on savait déjà qu’un gène appelé RPE65 pouvait entraîner une destruction précoce de la rétine», affirme Stephan Hüsler. Mais c’est la recherche sur le défaut génétique de la chienne suédoise qui a permis de montrer comment la maladie pouvait être stoppée. Après des années de tests, une variante du traitement qui avait guéri Lancelot a été testée sur des humains dans le cadre d’un essai clinique.
En 2017, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux a finalement autorisé cette thérapie génique. Un an plus tard, l’instance d’autorisation de l’UE a suivi, puis Swissmedic il y a deux ans. Depuis la fin de l’année dernière, le traitement est même remboursé par les assurances maladie en Suisse. Un seul traitement permet désormais, dans certains cas, de stopper la destruction de la rétine. «Avant que les associations de patients ne s’engagent dans la recherche sur ces maladies, on ne pouvait constater la destruction de la rétine qu’une fois qu’elle était déjà en cours. Aujourd’hui, grâce à la recherche génétique, on sait qui va perdre la vue et, dans certains cas, on peut même l’arrêter.» C’est précisément pour cela qu’il faut des organisations de patients, explique le directeur de Retina Suisse.
Pris isolément, un individu n’est pas intéressant pour la science. «Mais lorsqu’une organisation réunit dix mille personnes concernées et peut, en leur nom, discuter avec des scientifiques, des autorités d’homologation et des assurances, cela a un tout autre impact», est convaincu Stephan Hüsler.
L’implication des personnes concernées est importante à tous les niveaux
«Lorsque la recherche réunit des perspectives et des expertises différentes, c’est extrêmement précieux», estime Agnes Nienhaus, secrétaire générale de la coordination nationale des maladies rares (kosek). Pourtant ce n’est pas simple. «Il faut d’abord trouver des personnes concernées, ce qui est très difficile pour ce type de maladie, car elles sont par définition rares. Ces semblables doivent en outre être capables et désireuses de partager leur expérience», explique la secrétaire générale. Dans ce contexte, les organisations de patient-es sont d’autant plus importantes qu’elles peuvent rassembler les connaissances de leurs membres, les recouper et les partager avec le corps médical dans le cadre des recherches. À cela s’ajoute la question de savoir sous quelle forme impliquer les patient-es. «L’objectif devrait être que les patient-es puissent s’investir dès la formulation du projet de recherche», déclare Agnes Nienhaus. Pour être sûr que la science se penchera réellement sur les problèmes les plus urgents des personnes concernées.
En Suisse, il reste encore beaucoup à faire à ce niveau. Notamment parce que les organisations d’entraide ne sont pas suffisamment soutenues. Du point de vue d’Agnes Nienhaus, cette exigence cible également la nécessité de programmes de formation destinés aux patient-es pour réfléchir à leur expérience et la décrire à un niveau d’abstraction utile pour le partage avec le corps scientifique. Ce n’est pas si simple pour les profanes. Mais elle reste néanmoins confiante: «Je pense que la recherche évolue dans la bonne direction et reconnaît l’énorme potentiel des patient-es et de leur expérience.»