Jeune femme se regarde dans le miroir.
Dossier: Un mental fort

Les troubles alimentaires: formes, diagnostic et traitement

L’alimentation et le sport gagnent en importance, mais cette tendance ne profite pas à tout le monde. De plus en plus de personnes développent des problèmes de comportement alimentaire. Voici un aperçu des formes, des diagnostics et des options de traitement existants.

Texte: Katharina Rilling; photo: iStock

Plusieurs scénarios sont possibles: un membre de la famille refuse constamment de partager un repas avec vous le soir en disant qu’il a déjà mangé, un camarade de classe est obsédé par l’exercice physique et va jusqu’à peser chaque gramme de poulet, ou une collègue ne peut s’empêcher de constamment grignoter et poste tous ses repas sur Instagram. S’agit-il d’habitudes anodines ou d’un début de trouble alimentaire?
 
«Que ce soit entre amis, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, une certaine obsession pour l’alimentation est apparue», explique la professeure Gabriella Milos. Elle est présidente de la Société Suisse de Troubles de l’Alimentation et senior consultant à la clinique de psychiatrie de consultation et de médecine psychosomatique de l’hôpital universitaire de Zurich, où elle travaille dans ce domaine depuis plus de 20 ans.

«Il est courant aujourd’hui de faire de l’activité physique, de se renseigner en détail sur l’apport de certains aliments et de s’encourager mutuellement à perdre du poids sur Instagram. Mais il existe tellement d’informations qu’il est parfois difficile de savoir ce qui est sain et ce qui ne l’est pas, souligne l’experte. La façon dont les gens mangent, ce qu’ils mangent et la quantité qu’ils mangent sont largement déterminés par leur mode de vie. Il est donc plus difficile de détecter un trouble alimentaire à un stade précoce.»

Société Suisse de Troubles de l’Alimentation (SSTA)

La Société Suisse de Troubles de l’Alimentation (SSTA) est une organisation à but non lucratif. Son objectif est d’améliorer le traitement, la recherche et la prévention des troubles alimentaires et de l’obésité chez les enfants, les jeunes et les adultes.

La SSTA sensibilise également les professionnels, facilite la mise en réseau et offre des possibilités de formation continue. Une contribution importante, car: «Malheureusement, les troubles alimentaires sont encore souvent banalisés, y compris par les spécialistes. Nous montrons clairement la gravité de ces maladies», souligne la présidente Gabriella Milos.

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Qu’est-ce qu’un trouble de l’alimentation?

Bien entendu, toutes les personnes qui mangent trop ne souffrent pas d’un trouble grave. De même que tout régime réussi n’est pas un signe d’anorexie. Mais le passage d’une alimentation normale à un comportement alimentaire suspect, puis à un trouble grave, est souvent progressif.

À quel stade peut-on dire qu’une personne souffre d’un trouble alimentaire? Comme il en existe plusieurs types, il est difficile de donner une définition générale. «Les personnes touchées ont en commun d’avoir un rapport malsain à la nourriture et de se sentir mal dans leur peau, explique la professeure. Les pensées sur l’alimentation tournent alors à l’obsession. Ces personnes mangent trop ou pas assez, s’alimentent de manière irrégulière ou se purgent en vomissant après les repas.

Fréquence

En Suisse et dans d’autres pays industrialisés, environ 3,5% de la population développera un trouble alimentaire au cours de sa vie.

«Les troubles alimentaires atypiques sont également en augmentation, ajoute Gabriella Milos. Ces personnes n’ont pas d’habitudes alimentaires normales, mais ne correspondent pas aux définitions étroites des troubles alimentaires classiques. Elles ont souvent des formes mixtes ou atténuées.»

Environ 13% des personnes vivant en Suisse ont des problèmes d’alimentation (rapport OBSAN 2023). En outre, l’obésité, souvent provoquée par de mauvaises habitudes alimentaires, est un problème de santé mondial croissant dans les pays industrialisés et les pays émergents.

Différences entre les sexes

Les troubles alimentaires touchent davantage les femmes que les hommes. Les différences entre les sexes s’étendent également au type de trouble, les femmes étant plus susceptibles de souffrir d’anorexie.

«Des études récentes révèlent que le métabolisme des femmes peut être un facteur, explique la spécialiste. Le corps féminin est soumis à des fluctuations hormonales complexes. Par exemple, beaucoup de femmes ont des fringales avant leurs règles.» Le métabolisme doit constamment équilibrer ces fluctuations, ce qui rend les femmes plus susceptibles de souffrir de troubles alimentaires.

Des études ont également mis en évidence des anomalies métaboliques chez les personnes anorexiques, avant même l’apparition du trouble. Par conséquent, les chercheurs supposent aujourd’hui que l’anorexie n’est pas une maladie purement psychologique, mais qu’elle est également due à des problèmes liés au métabolisme.

Un nouveau projet de recherche sur le sujet, mené par la professeure Gabriela Milos, teste l’influence de la leptine artificielle (qui est au départ une hormone produite par le corps) sur les femmes souffrant d’anorexie. «Des études préliminaires indiquent que la substance pourrait avoir un effet positif sur les humeurs dépressives et d’autres symptômes de l’anorexie.» Une nouvelle lueur d’espoir pour un trouble difficile à traiter.

Les hommes sont plus susceptibles de tomber dans le sport excessif et l’abus d’anabolisants, ce qui s’apparente à un trouble alimentaire atypique. Mais eux aussi peuvent souffrir d’une forme plus traditionnelle.

Âge

Il existe également des différences entre les groupes d’âge. L’anorexie a tendance à apparaître à l’adolescence, tandis que la boulimie et l’hyperphagie se développent souvent à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte, voire jusqu’à la quarantaine.

Types de troubles alimentaires

Les troubles alimentaires peuvent prendre les formes les plus diverses: les personnes mangent trop ou pas assez, s’alimentent de manière irrégulière ou prennent l’habitude de vomir après les repas. Parfois même, différentes formes peuvent se chevaucher.

Anorexie

Les personnes souffrant d’anorexie essaient de maintenir leur poids le plus bas possible et sont donc souvent très maigres. Elles s’affament, suivent des régimes stricts et prennent souvent des médicaments tels que des laxatifs ou des coupe-faim. Elles font aussi beaucoup plus de sport que d’habitude. Elles ont parfois des crises de boulimie et se font ensuite vomir.

Boulimie

Le poids des personnes souffrant de boulimie est généralement normal. Ce trouble se caractérise par des épisodes incontrôlés de fringales et d’alimentation excessive, suivis de vomissements, d’utilisation abusive de laxatifs ou d’exercice physique exagéré, le tout dans le seul but de perdre du poids.

Hyperphagie boulimique

Les personnes qui en souffrent ont souvent l’impression de ne pas pouvoir s’arrêter de manger, mais elles n’essaient pas de maintenir ou de perdre du poids comme le font les personnes boulimiques. Ces personnes sont généralement en situation de surpoids.

Formes mixtes / nouvelles formes

Il existe également des troubles qui ne correspondent pas à une forme traditionnelle. Par exemple ceux qui ne réunissent pas toutes les caractéristiques d’un seul tableau clinique, qui présentent les caractéristiques de plusieurs tableaux cliniques ou qui sont considérés comme «nouveaux», car étant apparus récemment, de sorte qu’ils n’ont pas encore été officiellement classifiés. Citons à ce titre l’orthorexie.

Orthorexie

L’orthorexie n’est pas officiellement classée comme un trouble du comportement alimentaire et décrit une préoccupation excessive (valeur indicative: plus de trois heures par jour) pour une alimentation saine et un évitement compulsif des aliments supposés mauvais pour la santé.

Les personnes touchées deviennent généralement de plus en plus radicales au fur et à mesure que le trouble progresse et finissent par éviter complètement certains aliments. Leur culpabilité par rapport aux «dérapages» s’accroît, elles craignent pour leur santé et passent de plus en plus de temps à réguler leurs habitudes alimentaires.

Causes et facteurs de risque

Il n’existe pas de cause unique aux troubles alimentaires. Dans la plupart des cas, plusieurs facteurs doivent être réunis pour qu’un comportement alimentaire malsain débouche sur un trouble. Mais le perfectionnisme, l’anxiété, les problèmes d’estime de soi, les humeurs dépressives, les abus psychologiques ou physiques et les difficultés à réguler les sentiments semblent tous jouer un rôle dans l’apparition des troubles de l’alimentation.

Les athlètes d’élite plus exposé-es

Les personnes qui s’entraînent à un niveau élevé et qui se préoccupent beaucoup de leur apparence risquent davantage d’être touchées. Elles veulent modeler leur corps pour qu’il corresponde à leurs idéaux. Dans le cas de l’anorexie ou de la boulimie en particulier, les personnes ont une fausse image de leur corps et se trouvent trop grosses, alors que ce n’est pas le cas.

Il n’est donc pas surprenant que les troubles alimentaires soient particulièrement fréquents dans les milieux axés sur la performance, le poids et la beauté, comme les sports d’élite tels que le ballet et la gymnastique artistique ou dans le monde de la mode.

Des idéaux de beauté irréalistes

Associer la beauté à l’extrême minceur est particulièrement dangereux. Beaucoup d’enfants et de jeunes veulent correspondre à ces images irréalistes (et souvent retouchées) diffusées dans les médias, la publicité et sur les réseaux sociaux. Ils sont donc nombreux à avoir déjà essayé des régimes dès leur plus jeune âge, avant que le trouble alimentaire proprement dit n’apparaisse.

Mais des expériences telles que les abus sexuels ou la négligence peuvent également conduire à des troubles de l’alimentation. Et l’on soupçonne notamment les facteurs génétiques de jouer un rôle, car certains comportements sont parfois particulièrement fréquents au sein d’une même famille.

Diagnostic: à partir de quand parle-t-on de trouble alimentaire?

En cas de suspicion, la personne concernée doit être adressée à des spécialistes en psychiatrie ou psychologie, qui ont l’habitude de ce genre de cas et offrent toute l’attention nécessaire. Outre les anomalies physiques, telles que l’insuffisance pondérale ou les fluctuations de poids importantes, les entretiens et les questionnaires d’autoévaluation sont des outils clés pour poser un diagnostic.

En particulier les cas suivants laissent présager un trouble:

  • Jeunes femmes ayant un faible poids corporel
  • Patient-es de poids normal ou maigres et qui pensent peser trop
  • Femmes souffrant de troubles menstruels ou d’aménorrhée
  • Patient-es présentant des symptômes de malnutrition
  • Patient-es présentant des troubles de la digestion
  • Patient-es vomissant régulièrement
  • Enfants présentant des troubles de la croissance

L’indice de masse corporelle livre une première indication

L’indice de masse corporelle (IMC) de l’Organisation mondiale de la santé est généralement utilisé pour déterminer si une personne est en surpoids ou en situation de maigreur. Il s’agit d’un chiffre statistique indiquant le rapport entre la taille et le poids. Même si l’IMC est souvent critiqué parce qu’il ne fournit pas suffisamment d’informations sur la composition corporelle, il est utile en tant que guide.

Ainsi, des personnes particulièrement musclées (p. ex. les sportifs) peuvent encore être considérées comme ayant un poids normal, même si leur composition corporelle présente déjà un métabolisme hormonal anormal en raison de l’absence de graisse. Cela peut entraîner une fragilité des os ou une absence de règles.

Calculer l’IMC

Traitement: les thérapies actuelles

Les troubles alimentaires sont tous des maladies graves qu’il convient de traiter le plus tôt possible. L’anorexie, par exemple, est l’une des maladies mentales ayant le taux de mortalité le plus élevé. Plus cette maladie est traitée rapidement, plus les chances de guérison sont élevées.

Il est donc important pour les proches et les collègues de travail d’être attentifs aux premiers signes et de ne pas attendre: «Si une personne cesse de manger avec d’autres personnes, si elle est manifestement trop maigre ou si elle mange tout le temps et vomit après les repas, il est grand temps de chercher de l’aide», explique l’experte. «Un suivi psychologique régulier avec un-e thérapeute de confiance est alors très important. Mieux vaut ne pas entrer en confrontation avec la personne, mais accepter le fait qu’elle souffre d’une maladie».

Hospitalisation forcée uniquement dans les cas extrêmes

Les hospitalisations forcées pour s’assurer que la personne manger assez sont heureusement rares et ne sont pratiquées que lorsqu’il s’agit d’une question de vie ou de mort. «La maladie est alors déjà très avancée», souligne l’experte.

La Société Suisse de Troubles de l’Alimentation explique comment aider les personnes touchées:

Anorexie

Le traitement de l’anorexie vise principalement à normaliser le poids et les habitudes alimentaires afin que la personne retrouve un IMC minimum, correspondant à 18,5  kg/m² pour les femmes et de 19,5  kg/m² pour les hommes. Les mesures sont les suivantes:

  • Prendre ses repas à la même heure
  • Réduire les frénésies alimentaires et les tentatives visant à débarrasser l’organisme de la nourriture consommée en excès
  • Réintégrer des aliments qui étaient évités
  • Adapter l’activité physique au poids actuel 

Les problèmes émotionnels et physiques doivent être traités dans le cadre d’une thérapie.

Boulimie

Les mesures les plus importantes en cas de boulimie sont les suivantes:

  • Adopter un rythme de repas régulier afin de réduire les frénésies alimentaires
  • Limiter les mesures visant à perdre du poids

Cela réduit les crises de boulimie déclenchées physiologiquement par la faim. Le traitement vise aussi à évaluer les facteurs émotionnels et situationnels qui déclenchent les frénésies alimentaires afin de développer d’autres stratégies d’adaptation. Il est également important de se confronter aux aliments évités ou déclenchant des crises (thérapie d’exposition).

Les problèmes émotionnels et physiques doivent être traités dans le cadre d’une thérapie.

Hyperphagie boulimique

Bien que la plupart des personnes souffrant de trouble hyperphagie boulimique souhaitent perdre du poids, elles n’y parviennent souvent que dans une mesure limitée. Le traitement se concentre donc sur les points suivants:

  • Adopter un rythme régulier et équilibré de repas
  • Prendre des mesures pour mieux canaliser ses émotions et ses impulsions
  • Mettre en place une activité physique progressive

Ces mesures peuvent aider à prévenir toute prise de poids supplémentaire. Sur le plan psychologique, elles permettent d’améliorer l’humeur et de redonner satisfaction.

Orthorexie

L’orthorexie est traitée comme les autres troubles alimentaires en mettant l’accent sur le rééquilibrage des habitudes alimentaires et la relaxation. Sans oublier qu’il est important, de temps en temps, de se faire plaisir, sans se soucier de la valeur nutritionnelle et des conséquences pour la santé.

Outre les conseils psychologiques, les groupes d’entraide peuvent également apporter un soutien précieux aux personnes touchées et à leurs proches.

Le Prof. Dr méd. Gabriella Milos est une spécialiste en psychiatrie et psychothérapie FMH, spécialisée en psychiatrie de consultation et de liaison.

À propos de l’experte

Professeure Gabriela Milos est spécialiste FMH en psychiatrie et en psychothérapie, spécialisée dans la psychiatrie de consultation et de liaison.

Son activité clinique se concentre sur la thérapie interdisciplinaire psychiatrique et psychothérapeutique des troubles de l’alimentation et de leurs nombreuses maladies psychologiques et somatiques concomitantes. Elle est également présidente de la SSTA, à savoir la Société Suisse de Troubles de l’Alimentation.

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